Déc 152015
[Nouvelle] Chez les sauvages

Photo Flickr de Bill Dickinson

Atelier Spécial Western – 40 minutes d’écriture

Telle une étoile de shérif, un éperon luit au soleil. Il appartient à « John » qui revient dix ans après dans sa ville d’Oklaoma City. Durant son absence, sa ville a beaucoup changé, précisez. Pourquoi John est-il parti ? Pourquoi revient-il ? Que se passe-t-il ? 

Western nouvelle
Photo Flickr de Bill Dickinson

Je ne vous ai jusqu’à présent pas partager de fictions ici. Je me suis dit que ce texte, écrit l’an dernier à l’atelier d’écriture où je vais, et que j’ai lu en public, en juin, pouvait trouver sa place ici. Rédigé en temps limitée, cette nouvelle est imparfaite. Je voulais tout de même vous la proposer pour changer un peu des articles habituels, montrer d’autres aspects de ma vie et dans lesquels le véganisme s’invite aussi parfois.  😉 J’espère que vous ne m’en voudrez pas de publier cela et que vous y trouverez quelque chose. Bonne lecture !

Chez les sauvages

James s’arrêta un instant devant le panneau fraîchement repeint indiquant Oklaoma City. Il humecta ses lèvres gercées par le vent du désert en repensant au gamin qu’il était en quittant cette ville, aujourd’hui devenu pour lui un trou paumé comparé à Washington. Il avait douze ans quand son père avait été pendu. Après ça, sa mère l’avait emmené chez ses grands-parents sur la côte Est et avait disparu. Il avait longtemps repensé à leur ferme, au rockingchair qui grinçait sous le porche, aux grains qu’il semait avec sa mère, à son père qui partait chercher de l’or des semaines durant. Et un jour, il s’était rendu compte que les souvenirs s’estompaient.
James voulait se rappeler son histoire, celle que ses grands-parents taisaient. S’il oubliait ses parents n’auraient jamais existé. Il était temps de savoir ce qui avait conduit son père à la mort et ce qu’était advenu à sa mère.
La seule vision du panneau de la ville ravivait déjà les images. James avait hâte de revoir l’épicerie de Hoodges, la boucherie Welton, le barbier Silver et il pourrait entrer en vrai cowboy dans le saloon. Il réajusta son chapeau, secoua son manteau noir chargé de sable, fit craquer son cou et ses phalanges.
« Allez Tempête, c’est parti », murmura-t-il à son cheval appaloosa.
Oklaoma City lui parut plus lumineuse que dans ses souvenirs. Les maisons étaient toutes peintes de couleurs pastel. Même le croque-mort, dans sa tenue liliale, était posté en dessous une devanture pistache affichant « Ici, on sert les morts avec le sourire ». Le jeune homme fut étonné de ne voir aucun cheval devant le saloon, il n’y avait d’ailleurs aucun abreuvoir. Il mit pied à terre en veillant à ne croiser le regard d’aucun des habitants qui le fixait en murmurant. Il attacha Tempête à un poteau et entra dans l’établissement.
James étouffa un cri de surprise en découvrant un homme chantant en tenue légère au milieu de deux femmes jouant du banjo et du violon. Un peu en retrait, une autre soufflait dans un harmonica et grattait un rubboard. James marcha vivement jusqu’au bar, bien décidé à commander un triple bourbon pour effacer cette vision hallucinogène.
« On vous sert quoi ? Aujourd’hui, on a un smoothie betterave fraise ou goyave banane et basilic, le tout produit dans la ferme du vieux Hoodges.
– Hoodges de l’épicerie ?
– C’est sa fille qu’a l’épicerie maintenant. Lui, il fait des fruits et des légumes avec amour. C’est son slogan.
– Vous n’avez pas du bourbon plutôt ? »
Le chevelu imberbe vêtu d’une veste bleu ciel le fixa un moment qui lui parut infini avant de glousser.
« Hé l’autre ! Il croit qu’il est où ? Un bourbon ?! Tant que t’y es demande un steak ! »
Les clients éclatèrent de rire et James commanda un smoothie même s’il ignorait de quoi il s’agissait. Le barman se mit à danser en secouant les ingrédients et servit le liquide rose dans un grand verre décoré d’une ombrelle et d’une paille verte. Sous les regards inquisiteurs des autres clients, James avala cul sec le breuvage. Cela le rafraîchit, mais les saveurs fruitées ne firent que raviver son trouble. La musique s’acheva, les artistes saluèrent leur public enthousiaste et il ne resta plus que le bourdonnement des conversations et des aspirations de jus.
Lorsque James sortit, Tempête n’était plus attaché et n’avait ni selle ni harnais. Il attendait près de deux seaux d’eau et de foin. Le jeune homme regarda autour de lui, mais nulle trace de ses effets. La ville n’avait peut-être pas tant changé. Suivi par son équidé, il décida de se rendre chez Welton, le boucher. Il se souvenait que son père discutait souvent avec lui, bien qu’il ne lui achetait que rarement une pièce de viande. Mais à l’endroit où il s’attendait à trouver la boutique se tenait une échoppe de vêtements multicolores. Il eut beau faire le tour de la ville, il ne nota aucun boucher, ni ne vit aucune ferme de bétails aux alentours.

Marchant vers la maison de son enfance, il croisa une petite fille accompagnée d’un cochon, un peu plus loin un homme allongé aux côtés d’une vache dans un pré, et peu après une poule perchée sur les épaules d’une vieille femme qui cueillait des fleurs le long du chemin. Au bout de l’allée, la maison de son enfance irradiait de jaune et le petit bout de terre où le blé peinait à pousser était devenu un champ luxuriant.
James frappa à la porte et une inconnue vert pomme lui ouvrit.
« Excusez-moi, savez-vous où le boucher Welton habite ? Et le shérif Shrink, s’il l’est toujours ?
– Y a plus de boucher ici depuis des années. Y a pas de clients pour les tueurs ici. Le shérif… il est sûrement dans les thermes à c’te heure.
– Les thermes ? Pas de boucher ?
– Mais vous êtes qui ? C’est vous l’homme à cheval ?
– Je… je cherche ma mère. Mais j’ai dû me tromper d’endroit.
– Ici, on ne veut pas de meurtrier ou d’esclavagiste. C’est une ville libre. On n’exploite pas les animaux, nous sommes tous égaux.
– Tout le monde ?
– Ben oui. C’est la loi et un devoir à Oklaoma City. Votre cheval est désormais libre. On est tous plus heureux comme ça, vous ne trouvez pas ? Vous ne trouvez pas ? James ? Vous ne trouvez pas ? »
James se réveilla en sursaut. Isabelle le fixait en papillonnant des cils. Il essuya la bave sur sa joue et mit quelques instants à réaliser qu’il était dans le train.
« J’ai rêvé que personne ne mangeait de viande à Oklaoma City. J’étais seul et me sentais comme un étranger… coupable même. Les gens buvaient des fruits et des légumes en jus et il y avait un homme… Et les femmes, les hommes, les animaux, tout le monde égaux !
– James chéri, quelle imagination ! Si un tel monde existait, ce serait pire que de vivre chez les sauvages ! »
Le train s’arrêta à Oklaoma City. Les maisons branlantes et les chevaux faméliques devant le saloon le rassurèrent.

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